Que faut-il croire? Croyances complotistes et la pandémie
Ce blogue, premier d’une série de deux, a pour objectif de décrire le profil des personnes à fortes croyances complotistes, ayant répondu à notre enquête en janvier 2021. Il s’agit d’une étape préalable à l’analyse du lien entre croyances complotistes et bien-être, qui fera l’objet du deuxième billet de blog portant sur les théories du complot.
Les croyances complotistes : un contiuum de la méfiance
Qu’est-ce-que les théories du complot ?
Les théories du complot sont des fausses croyances qui attribuent la cause d’événements importants ou graves aux intentions souvent malveillantes d’individus ou de groupes puissants qui travailleraient ensemble en secret.
Il existe donc des croyances complotistes spécifiques, mais on peut aussi parler de “mentalité complotiste”, qui constitue la tendance générale à souscrire à ce genre de croyances, peu importe le sujet.
Les croyances complotistes sont donc liées au niveau de méfiance envers les gouvernements, les organismes publics et les compagnies privées. On se situe tous et toutes d’une manière ou d’une autre sur le continuum de la méfiance. Il est sain de remettre en question les décisions et les actions des institutions qui ont un impact sur nos vies. Toutefois, chez certaines personnes, ce niveau de doute se généralise à l’égard du fonctionnement de la société dans son ensemble, risquant de miner la cohésion sociale et d’engendrer de la détresse. Il convient donc d’analyser cette vision du monde sans porter de jugement.
Profil des personnes à fortes croyances complotistes
Statut socioéconomique
Au total, 13 % des répondants présentent un niveau plus élevé de croyances complotistes, mesurées avec des questionnaires spécifiques. On remarque peu de différences dans la proportion de personnes à fortes croyances complotistes entre les hommes (14 %) et les femmes (12 %), ni entre les différentes catégories d’âge.
En termes de niveau de scolarité, on observe une différence marquée entre les personnes détenant un diplôme universitaire et En termes de niveau de scolarité, on observe une différence marquée entre les personnes détenant un diplôme universitaire et celles qui n’en ont pas. Alors que 6 % des personnes avec un diplôme universitaire affichent une mentalité complotiste, cette proportion grimpe respectivement à 26 % et 22 % chez les diplômés de niveau collégial et les personnes avec une formation primaire ou secondaire. Cette différence pourrait s’expliquer par des habitudes différentes de consommation de l’information (ex.: médias traditionnels versus réseaux sociaux), qui, à leur tour, influenceraient les niveaux de croyances complotistes.
On observe une répartition similaire pour les différentes strates de revenus : chez ceux et celles ayant des revenus ménagers de plus de 100 000 $, 5 % affichent une mentalité complotiste (contre 20 % chez les ménages gagnant moins de 30 000 $). Les personnes moins nanties pourraient être plus méfiantes à l’égard des institutions publiques et des gouvernements, se trouvant peu touchées par les engagements politiques des grandes institutions en matière de réduction des inégalités sociales.
Enfin, 28 % des personnes qui n’avaient pas d’emploi au début de la pandémie manifestaient des idées complotistes. Cette proportion baisse à 15 % chez les personnes retraitées et 6 % chez les personnes qui avaient déjà un emploi au début de la pandémie. Les mêmes mécanismes présentés plus hauts chez les personnes aux revenus faibles ou modestes pourraient ainsi être à l’œuvre.
Attitudes à l’égard de la vaccination et de la politique
D’autres variables, plutôt liées aux attitudes et aux croyances, révèlent des tendances intéressantes. En janvier 2021, l’intention vaccinale était fortement associée à la mentalité complotiste : 47 % des personnes qui n’avaient pas l’intention de se faire vacciner contre la COVID-19 ou ne pas savoir si elles allaient le faire affichaient un niveau élevé de croyances complotistes, contre seulement 6 % des personnes voulant recevoir le vaccin. Ces résultats rejoignent ceux obtenus dans d’autres études. Même si notre questionnaire sur les croyances complotistes ne sondait pas spécifiquement les complots liés à la vaccination, la forte différence observée suggère que les croyances complotistes font partie, chez l’individu, d’un système de croyances plus large, caractérisé par la méfiance envers les groupes considérés comme puissants ou élitistes, comme les autorités sanitaires.
Une autre trouvaille intéressante concerne le positionnement politique sur l’axe gauche-droite. Plus les personnes se placent vers la droite de l’échiquier politique, plus elles rapportent une mentalité complotiste (i.e., 41 % des personnes se positionnant à droite ont tendance à adopter une vision du monde complotiste, contre 12 % des personnes au centre, et 8 % à gauche). Selon certains auteur.es, l’idéologie politique des sources consultées pour s’informer sur la COVID-19 influencerait le niveau d’adhésion aux théories du complot. Avant même la pandémie, d’autres chercheur.es avançaient que c’est la saveur idéologique d’une théorie qui détermine sa propension à être adoptée selon qu’on se considère de droite ou de gauche.
Une fracture rurale-urbaine?
Un dernier aspect intéressant de nos participant.e.s est leur distribution géographique à l’échelle du Canada. Dans les zones rurales, les villes de petite taille et les villes de taille moyenne, on observe respectivement 15 %, 18 % et 24 % de personnes avec une mentalité complotiste, contre 11 % pour les grandes villes. En lien avec le positionnement politique, cette différence pourrait s’expliquer par la distribution inégale des partisans de la droite et de la gauche entre les régions rurales et urbaines. Dans notre échantillon, on remarque d’ailleurs que les régions rurales abritent deux fois plus de partisans de la droite (21 %) que les grands centres métropolitains (10 %).
Conclusion
Dans ce premier billet de blogue sur les théories du complot en temps de pandémie, nous avons brossé un bref portrait des personnes à fortes croyances complotistes dans notre échantillon. Les revenus ménagers, le niveau de scolarité, le statut d’emploi, l’hésitation vaccinale, les idées politiques, et le fait d’habiter en région rurale semblent associés aux croyances complotistes. Ces mêmes facteurs sont aussi connus pour avoir un impact sur le bien-être psychologique qui est l’objet d’intérêt principal de l’étude COHESION. Dans le deuxième billet de blog sur le sujet, nous présenterons les résultats de l’analyse liant les croyances complotistes au bien-être en tenant compte de tous ces éléments. Restez à l’affût pour la suite !
Références
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